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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 17:57

On en était seulement à la fin du premier round, et déjà, j'avais toutes les peines du monde à me souvenir de mon nom ; mon prénom, Frédéric, ça allait, mais le nom...? Brouxdenois, Petitlard, Lardonne...? Tout ce qui me venait en tête me semblait fantaisiste. J'allais m'asseoir sur mon tabouret. Je savais, mais sans savoir comment, que de l'eau allait me rafraichir et que mon protège-dents, « tiens, j'ai un protège-dents ! », allait m'être enlevé pour quelques secondes de grâce...

Un cloche, au loin, qui sonne... Images bucoliques d'un village noyé de soleil, ah le joli forçat (et le bel hommage), et quelqu'un qui me pousse, le tabouret qui se dérobe ; je me relève, me met en garde. Je le sais, je dois frapper sur l'autre, là, et éviter au maximum qu'il continue à me fracasser...

 

Fin du second round, mon prénom a disparu. Eric, Maurice, Barbara, Freddy, je ne sais plus... Seuls le tabouret et l'eau, ainsi que la couleur des yeux de mon entraineuse, existent. Je m'affale plus que je ne m'assieds, et je respire enfin. J'entends vaguement des cris, surtout des « hou-hou » et un étrange « à mort l'aztèque ! » qui ne m'étonne même pas. Rien ne m'étonne plus.

Re-dong, re bourrade pour me relever, re tabouret qui se dérobe, et là, en face de moi, deux grosses balles déformées et rouges qui tournoient dans l'air selon un mouvement qui obéit à une logique évidente mais incompréhensible. Elles se rapprochent et s'éloignent, je sens des craquements dans mon visage, un truc au milieu... Oui, un « nez », crac !

Je découvre des cordes, elles supportent mon dos pendant que mon ventre subit une série de percussions ordonnées, mais faiblissantes.

Le sol tremble et se met à la verticale. De mon œil, je vois un type, il compte, sais pas pourquoi, un dingue ! Il se tient debout, mais à l'horizontale. Je ne savais pas qu'on pouvait faire ça ! Ça me plairait bien d'être debout à l'horizontale, moi !

Il y a du bruit partout, au dessus et en dessous, à droite et à gauche. L'emmanché qui criait « mort à l'aztèque » s'est tu, les « hou-hou » déferlent, et ma mère me regarde en dodelinant. Et puis d'abord, qu'est-ce qu'elle fait là, ma mère, au bras de Nicolas Sarkozy? Je le reconnais très bien. Il hurle des ordres que j'entends à peine : « Debout, racaille ! », « Légion d'honneur, mon cul ! » et « préparez le charter ! ». Je m'interroge sur le charter, et je me dis que d'aller au Japon, ce serait pas mal, mais sans ma mère, sans Sarkozy et sans mon entraineuse aux yeux bleus et à la chevelure blonde.

Le sol ne bouge plus ; il reste obstinément à la verticale... Tant pis ! Je veux un morceau de chocolat, une cigarette et un vol pour Tokyo. Je veux que ma maman cesse de dodeliner, ça m'énerve, et que Sarko arrête de beugler. De toutes façons, qui l'entend ? Tout le monde s'en fout !

D'autres gars apparaissent ; eux aussi, ils sont debout à l'horizontale, et en plus, ils marchent ! Ils s'approchent et me soulèvent. C'est marrant d'être soulevé sur le coté ; normalement, bouger sur le coté, c'est glisser ! Là, non ; c'est m'élever.... Dingue ! Ce sont des japonais, j'en donnerai ma main, en feu, au feu ! Ils m'emmènent à l'aéroport ! Sympas, les gars !

Alors, je me laisse faire. Je sucotte doucement le chocolat et je tire lentement sur la clope qu'un des japonais m'a glissé entre mes lèvres gonflées.

Je me sens bien, les bruits diminuent, ma mère a disparu, Sarko aussi. Je suis couché à l'horizontale et je n'ai pas peur. Le charter m'attend. Le japon aussi...

 

together2light.jpg

Photo : Pif, Paf et Nicolas (de gauche à droite), photographiés par Renée Perle, au salon de la riziculture (1966)

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commentaires

R
<br /> <br /> bon voyage ! :D<br /> <br /> c'est vrai que c'est bien écrit. pas que celui-ci, j'aime tous les autres (mais j'en ai à rattraper parce que ça fait un moment que je ne suis pas venu, toutes mes excuses)<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> très bel écrit surréaliste;As-tu toujours envie d'aller à Tokyo?<br /> <br /> <br /> <br />
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